Trois axes pour évaluer le Model 3 en terre suisse.
Nous avions déjà réalisé un essai de Model 3 RWD au printemps 2018 sur ses terres natales, dans la baie de San Francisco, et il nous tardait de répéter l’expérience avec le modèle commercialisé en Suisse, la correction de l’amortissement et des conditions d’essai cohérentes avec les routes suisses.
En ligne de mire, trois questions:
– Quelle est l’autonomie réaliste selon différents rythmes de conduite ?
– Quel est l’agrément de conduite au quotidien de Model 3 ?
– Est-ce qu’une électrique performante est intéressante en conduite sportive ?
Model 3: un succès commercial ?
Du 1er Juillet 2018 au 30 Juin 2019, Tesla a livré 247’902 Model 3. Ce chiffre est à comparer aux 366’475 BMW Série 3 ou 478’000 Mercedes Classe C vendues dans le monde en 2018. Pour une petite marque qui fabrique des voitures électriques avec un assortiment restreint et une infrastructure de production et de distribution encore hésitante, le résultat impose le respect.
Le positionnement de Model 3 résonne indubitablement. Plus abordable que Model X ou Model S, plus compact, Model 3 attire pêle-mêle les fans de la première heure qui ont placé leur réservation le 1er Avril 2016 et les pragmatiques qui y voient une économie de leur frais kilométriques en passant par les technophiles curieux, Model 3 ratisse large.
Sur le marché suisse, où les incitations à l’achat d’électriques sont aussi disparates que timides, Model 3 a été propulsé en 4ème place des ventes par modèles, bien aidé par près de 3 ans d’accumulation de commandes.
Que l’on soit réceptif ou réfractaire, il faut l’admettre: Model 3 plaît, c’est un fait.
Autonomie: première de classe ?
Sur le réseau autoroutier suisse, les Tesla se traînent. Ma constatation est furieusement anecdotique, mais les Model S ou X qui ne sont pas sur la piste de droite 10 à 15 km/h en-dessous de la limitation de vitesse sont une exception selon mon expérience de parcours régulier de l’A1 et de l’A2 sur ces sept dernières années.
Qu’elle est l’autonomie de Model 3 si on roule à un rythme plus pressé, celui que j’adopte généralement avec ma RS6 soit 150 km/h de croisière sur la piste de gauche là où les conditions le permettent ? Quel gain en roulant avec le pied plus léger aux limitations de vitesse ?
Pour étudier, la question, nous commençons par gaver le Model 3 au tout nouveau superchargeur de Bussigny, dans la banlieue ouest de Lausanne. Une salade de crudités et 70 minutes plus tard, la batterie est passée de 38 à 100%. Le Model 3 prédit 499 km d’autonomie, en route !
L’ambiance intérieure de Model 3 reste à part. Le dépouillement, le pare-brise qui descend très bas et la visibilité inhabituelle qu’il procure. Le premier élément flagrant est que la sécheresse de l’amortissement des versions produites jusqu’à mi-décembre 2017 a disparu.
Le filtrage est maintenant très acceptable pour une suspension non-adaptative. Le moussage des sièges est également agréable en termes de confort. Les moteurs électriques sont naturellement silencieux, mais les remous sur le pare-brise deviennent assez bruyants au-dessus de 130 km/h.
Un long trajet donne loisir de se ré-acclimater à l’interface si particulière du Model 3. Hors commandes de vitres latérales, signofils/appel de phare, klaxon et sélecteur de marche combiné à la commande d’AutoPilot, tout, absolument tout, passe par l’écran tactile de 15 pouces.
Les inconditionnels célèbrent la disparition de tout bouton, mais certains excès sont difficilement défendables et rendent trop de fonctions distrayantes à chercher et commuter en roulant. Pas de support Apple CarPlay ou Android Auto non plus. Ni d’ailleurs d’option d’affichage tête haute.
Les reprises depuis 100 km/h sont moins canon que les accélérations départ arrêté, mais déposeront néanmoins à peu près tout ce qui roule. AutoPilot, l’assistant de trajectoire est devenu un peu moins permissif qu’il ne le fut par le passé. Les alertes de détection d’effort dans le volant viennent beaucoup plus rapidement, et si l’on ignore l’escalation, punition: plus d’AutoPilot jusqu’au prochain arrêt.
Dans les embouteillages, AutoPilot est un assistant très agréable et utile, un vrai plus. A plus haute vitesse, le guidage de ligne reste un des meilleurs du marché, mais on ne peut pas en dire autant de la fonction de régulation de vitesse adaptative, maladroite et brusque.
Tesla est désarmant de candeur avec l’affichage d’AutoPilot, exposant à la fois les aptitudes du système à reconnaître les objets qui l’entourent, mais également ses faiblesses, approximations et erreurs.
Tel quel, AutoPilot est capable d’accomplir des tâches simples mais reste bien trop permissif en autorisant son activation dans des milieux qu’il est incapable de gérer. Les ronds points sont un “bon” terrain de démonstration pour autant que vous soyez sur le qui-vive et prêt à éviter une probable catastrophe.
La fonction Navigate On AutoPilot, encore en beta (un terme pudique et passablement hypocrite), est capable de suivre un itinéraire, proposer des changements de voie et négocier des échangeurs. Je trouve le système stressant car il demande une attention extrême pour rattraper ses erreurs. L’expérimentation de cette curiosité de laboratoire dans la circulation peut être qualifiée d’irresponsable, tant pour soi que pour autrui.
Selon l’ordinateur de bord, la consommation sur cet aller-retour ne montre que 14% d’écart entre un rythme pressé et le parcours en sens inverse “à-la-bernoise”. Ce faible écart est aussi remarquable que les valeurs de consommations affichées par Model 3, même si elles sont loin des 499 km projetés. Model 3 consomme remarquablement peu, que l’on roule lentement ou plus “normalement”.
Autoroute rapide | Autoroute lente | |
Moyenne km/h | 97.1 | 81.4 |
Conso Wh/km | 180 | 158 |
Autonomie km** | 411 | 468 |
** basées sur une batterie de 74 kWh nets.
Il faut rappeler que ces valeurs doivent être défalquées de la distance de sécurité que l’utilisateur s’imposera pour éviter la galère absolue de la panne. L’ubiquité et la fiabilité des stations essence fait qu’on peut tirer sans sueurs froides un plein de carburant jusqu’à 20 ou 10 km d’autonomie. Faire de même avec une électrique paraît téméraire.
Chargé à bloc
Nous avons visité cinq différentes stations de charge rapide: deux superchargeurs Tesla et trois stations ionity. Les deux charges complètes au superchargeur de Bussigny se sont déroulées sans encombres, mais les puissances ne sont pas décoiffantes.
Sans voiture adjacente (la puissance maximale est alors divisée par deux), nous avons relevé 106 kW maximum jusqu’à une autonomie de 300 km, puis un ralentissement progressif. Charger jusqu’à 400 km indiqués ne prend que 25 minutes, les derniers 100 km plus de 40 minutes. Charger à 100% est donc extrêmement pénalisant.
Afficher la galerie de photosNotre recharge au superchargeur de Flüelen fut beaucoup plus lente, en partie du fait d’un taux d’occupation plus élevé. D’abord limitée à 30 kW jusqu’à ce que la Tesla voisine décampe, la charge s’est interrompue à 360 km avec un refus obstiné de redémarrer.
Nous avons également visité plusieurs stations ionity, avec un résultat aléatoire. Refus obstiné à Ersfeld Süd malgré un appel au support de ionity et de multiples tentatives sur 3 bornes différentes. A Erstfeld Nord, charge erratique et hyper lente, avec deux des six bornes en panne. A Neuenkirch, pourtant utilisée sans le moindre problème avec le Jaguar i-Pace et le Hyundai Kona, il a fallu persévérer pour finalement obtenir une charge.
Tesla reconnaît un problème de compatibilité qu’ils annoncent résolu avec la version logicielle 2019.24. Ionity commente de son côté que Tesla, ABB (le fournisseur de bornes) et ionity travaillent sur le problème.
Pourquoi cette insistance à vouloir tester les stations ionity ? Pour plusieurs raisons:
– la couverture géographique des stations de charge rapide est loin du stade où, selon sa situation personnelle, on peut se contenter d’un seul réseau
– les stations ionity promettent une puissance supérieure donc un temps de charge réduit.
J’ai observé jusqu’à 188 kW de puissance avec une batterie vide, 126 kW jusque vers 280 km, le gain de temps peut-être appréciable, d’autant plus que chaque borne dispose de son propre transformateur, donc la puissance délivrée ne dépend pas de l’occupation de la station.
Model 3: voiture de sport ?
Tesla et ses fans cultivent un message basé sur la performance. Au-delà de la satisfaction facile des démarrages canon aux feux rouges, est-ce que Model 3 est une voiture de sport accomplie, et quelle satisfaction peut-on retirer de la conduite sportive au volant d’une électrique ?
Cap sur nos bases alpines habituelles pour une ascension du col du Susten à un rythme soutenu. Les relances faramineuses font de Model 3 un outil de choix pour les dépassements, difficile de trouver plus efficace sur quatre roues. Tesla délivre ce couple conséquent avec finesse, un lissage qui évite les amorces de patinage qu’on déclenche trop facilement sur un i-Pace par exemple. La force n’est pas brusque.
La position de conduite révèle par contre ses limites: assise trop haute et sièges pas assez enveloppants. Le volant minuscule nuit à la précision, d’autant plus que la direction est trop directe autour du point central. Pourtant amateur de directions dynamiques, je trouve que Tesla est allé trop loin, le défaut étant amplifié par le recours naturel au volant pour compenser le manque de maintien du siège.
Les réactions du châssis sont par contre très saines et le roulis contenu, mais les limites difficiles à cerner. La monte pneumatique Hankook Ventus S1 accomplit un travail remarquable. Le niveau de grip obtenu avec les dimensions contenues (235/40 avec les jantes de 19” en option) et le poids conséquent (1846 kg) semblent défier les références habituelles. Difficile d’articuler quel crédit il faut donner à l’abaissement du centre de gravité pour ce résultat probant, mais le fait est là: ça dépote en ligne droite et les vitesses de passage en courbe sont conséquentes.
J’ai par contre eu de la peine à trouver du plaisir dans l’exercice. Le bruit dominant est le travail des pneumatiques d’appui en appui. Il n’est pas excitant, il est même assez trompeur sur la réserve d’adhérence à disposition. Couplé à une direction assez amorphe, les limites sont difficiles à cerner.
Ceci nous ramène au feu rouge: hors concours de bistouquette, la conduite sportive manque d’intérêt, d’immersion et de saveur. Piner une Porsche en ascension de col est largement dans les cordes de Model 3, mais il n’y a guère de satisfaction à en tirer, à moins d’avoir des problèmes d’égo.
Les métaphores sont faciles: c’est un steak sans assaisonnement. Les protéines sans la saveur, la nourriture sans le goût. Une succession un peu stérile d’accélérations longitudinales et latérales, sans réel défi ni récompense du geste juste. Il sera très intéressant de découvrir la recette de Porsche sur la Taycan, et de voir si les allemands ont trouvé la recette d’une conduite électrique sportive immersive.
Et la consommation à ce rythme ? Elle explose à la montée, naturellement: 403 Wh/km à l’ascension du col, mais seulement 231 Wh/km après être retourné à mon point de départ, à Wassen, après 86.3 km parcourus à un rythme parfaitement répréhensible. La régénération en descente est efficace, mais il n’est pas possible de rouler vite sans toucher les freins, donc dissiper de l’énergie en chaleur. Cette consommation est bien meilleure que je ne m’y attendais.
L’excellence de ces chiffres m’a même incité à remettre en question les informations affichées. La vitesse est-elle précise ? 30.3 secondes sur 1 km à 120 km/h stabilisés. L’énergie ingurgitée est-elle vérifiable ? Plus difficile à dire, les superchargeurs ne fournissent pas d’information indépendante, mais la borne ionity m’indique 55.7 kWh débités pour 69% de recharge, soit 80.7 kWh. Tesla ne fournit aucune information sur la charge de la batterie de Model 3, mais le consensus officieux est de 74 kWh net.
Model 3 se démarque donc de la concurrence actuelle avec une efficience énergétique remarquable, et une faible dépendance de celle-ci au rythme adopté.
Avec une autonomie réaliste de près de 400 km, des performances probantes, l’évaluation de l’attrait de Model 3 se transpose ensuite sur un terrain plus subjectif. La compatibilité d’une électrique avec des contingences personnelles (propriétaire, locataire, charge à domicile ou sur le lieu de travail, fréquence de longs trajets). Ou les possibilités de personnalisation réduites (cinq couleurs extérieures, un type de jolies jantes, intérieur noir ou blanc). Ou encore les aspects pratiques (proximité d’un centre de livraison/service).
L’habitabilité arrière est bonne, avec une place assez généreuse aux genoux mais à peine un doigt entre mon crâne et le toit en verre. La capacité du coffre est décente, avec le complément du “frunk” à l’avant. L’approche radicale de la conception de l’intérieur est polarisante et ne pourra plaire à toutes et tous, mais pour l’instant elle a plu à suffisamment d’amateurs pour alimenter la croissance des volumes de Tesla. Vu les prestations offertes, ce n’est pas surprenant.
Prix et options du véhicule essayé
Tesla Model 3 Dual Motor | CHF 56’900 | € 53’000 |
Peinture bleu outremer | CHF 1’050 | € 1’050 |
Jantes sport 19″ | CHF 1’600 | € 1’600 |
Intérieur noir et blanc | CHF 1’050 | € 1’050 |
Capacité de conduite entièrement autonome | CHF 6’300 | € 6’300 |
Frais de dossier et de mise en service | CHF 990 | – |
Prix catalogue du véhicule d’essai | CHF 67’890 | € 63’000 |
Face à la concurrence – caractéristiques techniques
Tesla Model 3 Dual Motor | Hyundai Kona electric |
Nissan Leaf 2 | |
Puissance (ch) | 352* | 204 | 150 / 3283-9795 |
Couple (Nm) | 510* | 395 | 320 / 0-3283 |
Transmission | 4 RM | AV | AV |
Poids DIN (constr.) | 1846 (1847) 50.3% / 49.7% |
1726 (1743) 54.3% / 45.7% |
1584 (1580) 56.1% / 43.9% |
0-100 km/h (sec.) | 4.6 | 7.6 | 7.9 |
Vitesse max. (km/h) | 233 | 167 | 144 |
Conso. Wh/km (constr.) | 174 | (154) | 179 |
Batterie (kWh) | 74 | 64 | 40 |
Autonomie (km) |
560 (WLTP) | 449 (WLTP) | 378 (NEDC) |
Longueur (mm) | 4694 | 4180 | 4490 |
Largeur (mm) | 1933 | 1800 | 1788 |
Hauteur (mm) | 1440 | 1570 | 1540 |
Empattement (mm) | 2960 | 2600 | 2700 |
Coffre (L) | 542 | 332 / 1114 | 385-420 |
Roues | 235/45R18 | 215/55 R17 | 215/50 R17 |
Prix de base (CHF) | 56’900 | 46’990 | 42’990 |
Prix de base (EUR) | 53’000 | 43’900 | 29’900 |
*valeurs officieuses – Tesla ne communique pas de fiche technique détaillée.
Nos remerciements à Tesla Suisse pour le prêt de ce Model 3.
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